46 ans après le Procès d'Aix, nous devons toutes et tous nous mobiliser autour de Gisèle Pélicot !

Du 2 septembre au 20 décembre 2024 se tient à Avignon le procès de Dominique Pélicot accusé d'avoir été l'instigateur de plus de 90 viols aggravés perpétrés de 2011 à 2020 contre son ex-épouse, Gisèle Pélicot en état de soumission chimique, et de ses 50 co-accusés, dont il a filmé et répertorié les viols. Dominique Pélicot recrutait sur le site coco·fr, aujourd’hui fermé, des violeurs vivant tous dans le Vaucluse parfois à 200m de chez lui. Des hommes d’origines sociales diverses mais menant globalement tous des existences banales de père de famille, pompier, infirmier, retraité, informaticien etc., acceptaient de se plier au rituel élaboré par Dominique Pélicot. Nous avons suivi l’audience pendant deux jours et témoigné notre soutien à Gisèle Pelicot qui a courageusement décidé de rendre public ce procès pour mettre fin à la culture du viol et pour que plus jamais d’autres femmes ne subissent de viols.

Jeudi 10 octobre 2024, nous avons déposé aux policiers qui contrôlent la salle A du tribunal d’Avignon, Une farouche liberté de Gisèle Halimi pour Gisèle Pelicot. Nous y avions inscrit quelques mots pour lui dire notre soutien entier et nos remerciements pour avoir eu le courage de refuser le huis-clos lors du procès de ses 51 violeurs. Nous lui disions aussi notre certitude que, pendant ce procès historique, Gisèle Halimi se tenait-là, près d’elle. Une semaine auparavant, Me Babonneau avait cité à la barre des extraits du livre de Choisir la cause des femmes, Viol, le procès d’Aix, publié en 1978. Il voulait convaincre le président de la Cour criminelle départementale qui juge depuis le 2 septembre, les 51 accusés de ces viols, de respecter le choix de Gisèle Pélicot de refuser le huis-clos, droit inscrit dans la loi depuis le procès d’Aix. C’est en effet à la suite de ce procès que le viol fut re-criminalisé et jugé aux Assises, que le huis-clos ne put être décidé qu’à la seule demande de la victime majeure, et que la publicité des débats fut garantie. Dans ce compte-rendu des débats du procès d’Aix, Gisèle Halimi défend Anne Tonglet et Araceli Castellano, violées dans une calanque de Marseille en 1974. Or, le Président de la Cour criminelle départementale d’Avignon, aux 1ers jours du procès, avait décidé que ces vidéos de viols, choquantes risquaient de provoquer du trouble et décidé qu’elles ne seraient visionnées qu'exceptionnellement et à huis-clos - huis-clos qu’il restaurait ainsi contre le choix de Gisèle Pélicot- au nom de son pouvoir de police de l'audience. Ce 4 octobre 2024, pour convaincre le président d’appliquer la loi, Me Babonneau reprend les mots de Gisèle Halimi pour qui une femme qui parvient à rendre publique le procès de ses violeurs « (…) sait que ce n'est pas pour elle. Elle le fait pour que les autres femmes ne passent pas par les épreuves qu'elle a subies. »

Et il ajoute : « Cette phrase a été prononcée il y a 47 ans par Gisèle Halimi. Aujourd'hui, Gisèle Pélicot dit que pour elle : « c'est trop tard, le mal est fait » : des viols, par plus de 60 hommes ont été commis chez elle, dans son lit, droguée. Mais si cette publicité permet de changer, de faire en sorte que d'autres femmes n'aient pas à passer par là, cette souffrance qu'elle s'inflige tous les jours aura un sens ». En instaurant de fait un huis-clos, le président privait de publicité les débats et en particulier les seuls éléments de preuve dont la victime, inconsciente au moment des faits, dispose à savoir plus de 20 000 vidéos de ces viols que son mari a maniaquement classées et conservées. Me Babonneau a dû plaider pour que ces images soient diffusées devant les journalistes qui seul·e·s ont accès à la salle A mais aussi le public qui suit les retransmissions du procès dans une autre salle. Le respect de la loi sur la publicité des débats et la levée du huis clos, était enfin obtenu ce 4 octobre, 6 semaines après le début du procès…

Depuis le 2 septembre, un public essentiellement féminin suit les débats dans une seconde salle au tribunal judiciaire d’Avignon. Les gens, de plus en plus nombreux, qui ne sont pas arrivés assez tôt pour avoir une place patientent devant la porte entravée par une barrière. Celle-ci est placardée d’affiches interdisant l’accès aux mineur·e·s et aux témoins. Une agente du tribunal veille sur le bon déroulement des entrées et sorties du public. Les femmes et les quelques hommes présents écoutent les débats dans un silence troublé seulement de soupirs d’indignation quand les titres crus, obscènes, choisis par Dominique Pélicot pour classer ses vidéos sont demandés pour visionnage par la partie civile ou l’avocate générale. Certaines sortent au moment de la diffusion des vidéos qu’il est difficile de regarder sans ressentir un haut-le-cœur. La personne chargée d’accueillir le public, vacataire, a quant à elle informé sa hiérarchie qu’elle ne resterait pas pendant la diffusion des vidéos pour se protéger ce que l’administration a bien compris. Cette femme prévenante avec le public exprime un ressenti bien légitime : elle ne veut plus avoir à supporter, non pas les images qu’elle peut ne pas regarder, mais dans les vidéos, les sons qui accompagnent les images d’une violence insoutenable. Car que voit-on et qu’entend-on dans ces vidéos qui sont autant de preuves de viols et non des “scènes de sexe” comme le président du tribunal suggérait de les nommer au début du procès, banalisant ainsi les faits ?


Ce que l’on voit ce sont deux hommes occupés à des actes de pénétrations sur le corps d’une femme profondément endormie et qui ronfle. On voit ce qu’ils font pour ne surtout pas la réveiller. La scène se tient dans la chambre à coucher du couple. Gisèle Pelicot les vêtements relevés ou nue est soumise à des pénétrations vaginales et buccales. Elle ne réagit pas. Elle ne réagira jamais et ne se réveillera jamais. On entend, derrière les injonctions de Dominique Pélicot et les échanges à mi-voix entre l’homme qu’il filme et les bruits volontairement assourdis des propos ; ceux des organes du violeur et de la victime, le bruit assourdi d’une télévision ou d’une radio allumée accentue encore l’impression de grande banalité de ce qui est en train de se passer. Loin des théroies des accusés affirmant qu’il s’agit d’un jeu sexuel entre personnes consentantes, tout est fait pour que Gisèle Pelicot ne se réveille pas et que dans son sommeil et dans sa vie la plus quotidienne, le viol se déroule. Edouard Durand dans 160 000 enfants, débute son texte par la description concrète de ce qu’est l’inceste et les violences sexuelles sur les enfants. Il décrit ce que fait l’adulte (dans 97% des cas l’incesteur est un homme) fait sur le corps et dans la bouche, les organes génitaux ou l’anus de l’enfant avec son pénis. La lecture en est insupportable. Or c’est cela un viol, un acte imposé à une personne non consentante. La matérialité de l’infraction nécessite qu’on évoque les parties du corps, ce qu’il en est fait, et nécessite d'utiliser un vocabulaire qui est celui de la sexualité mais dans un contexte non consenti. Or c’est précisément cette représentation du viol que personne ne veut regarder en face : la banale réalité de gestes et d’actes accomplis dans un cadre où l’une des personnes réduite au rang d’objet perd le sentiment de sa dignité et dès lors son droit de vivre. Les victimes d’inceste sont en état de mort psychique décrit un espert psychiatre dans un rapport commandé par Laurence Rossignol. Toutes les personnes violées connaissent cet état de dissociation qui met le corps à distance et anesthésie les émotions. Mais ce ne sont pas les images qui sont choquantes, ce sont ces viols. Lors de sa déposition, rappelé à l’ordre par le Président pour avoir utilisé le mot “ viol ”- le principal enquêteur de la police a revendiqué le choix du terme « viol ». « Ce que j’ai vu (des centaines d’heures de visionnage des vidéos de Dominique Pélicot), a-t-il déclaré : ce sont des viols. Quand il y a un meurtre, personne n’utilise un autre mot que « meurtre » ».

Projeter les vidéos d’un scénario qui se répète ad nauseam dans lequel le corps inerte d’une femme profondément endormie est pénétré par un homme qui ne lui demande à aucun moment si elle est consentante -Gisèle Pélicot s’est décrite elle-même comme une “poupée de chiffon”- permet déjà qu’aucun accusé n’a remis en cause la matérialité des faits. Si aucun ne les nie, presque tous se défendent en disant que c’était un jeu, qu’elle faisait semblant de dormir, que son mari avait consenti pour elle…et qu’ils n’avaient pas l'intention de la violer.

Au procès de Mazan, en choisissant de montrer la réalité physique des viols qu’elle a vécus, Gisèle Pelicot veut montrer cette banalité du mal.Cette effraction dans le corps qui est une blessure traumatique et renvoie l’existence de la victime au néant.

Après l’audience, Gisèle Pélicot a été accueillie comme c’est le cas dorénavant tous les jours par des applaudissements. Celles et ceux mais surtout celles qui ont suivi l’audience dans la salle aux places limitées où sont retransmis les débats l’attendent avec des fleurs, des messages, elles la remercient, lui parlent. Gisèle Pelicot marche régulièrement et s’arrête peu mais prend le temps de remercier en souriant, on la sent très émue, on l’est aussi. A une dame qui la remercie, elle dit que ce qu’elle veut c’est que ça s’arrête, tous ces viols, cette culture du viol. Qu’elle veut que son procès serve à cela et que les choses ne soient plus jamais comme avant.
 
Nous avons eu la chance de pouvoir lui parler. Gisèle Pelicot nous a expliqué que Gisèle Halimi avait toujours été dans son existence un repère important par ce qu’elle incarnait, sa force, son exemple, quelqu’un qui élève, qui inspire comme semblait le dire son regard accompagnant son geste des deux mains ouvertes vers le ciel… Que leur prénom commun scelle sans doute quelque chose, d’une sorte de destins qui se lient et qui aujourd'hui prend son sens. Nous partageons son émotion et la puissance de son engagement pour faire de son procès comme celui d’Aix un procès historique. Car ce procès est celui du viol jamais réellement appréhendé par la loi.
 
Dans tous les procès qui ont accompagné les combats de Gisèle Halimi et de notre association, lutte anti-coloniale, lutte pour le droit à l’IVG, a fortiori lutte contre le viol, celles que Gisèle défendait avait toute traversé cette mort du corps et de l’esprit qu’est le viol. Djamila Boupacha violée et torturée par les tortionnaires de l’armée française pendant la guerre d’Algérie. Marie-Claire Chevalier violée par un petit ami. Anne Tonglet et Araceli Castellano violées par trois hommes. Gisèle Pelicot, comme Anne Tonglet et Araceli Castellano, comme Marie-Claire Chevalier et comme Djamila Boupacha, est à son tour en train d’écrire une page importante de l’histoire de nos droits et de notre dignité.

Durant ces deux journées, le parallèle avec le procès d’Aix a également été présent à travers la sororité et l’adelphité qui s’exprimaient en différents lieux d’Avignon. Parmi le public où des femmes et quelques hommes jeunes et moins jeunes se parlent pour expliquer pourquoi ils et elles sont là. Un jeune homme en formation sanitaire, évoque ses cours de droit : on ne prend pas en charge le corps des autres sans un cadre légal et éthique. Il se sent concerné intimement par l’affaire. Il s’indigne que l’un des accusés soit un soignant. Une dame suit le procès depuis 12 jours, sait où est détenu Dominique Pélicot et qu’il s’est plaint d’avoir froid en prison... Une étudiante voudrait se réorienter en psychologie et vient parce qu’elle veut comprendre pourquoi des hommes deviennent des violeurs. Nous rencontrons aussi une jeune femme militante qui nous invite à l’accompagner à la création du collectif #Noustoustes Vaucluse qui se tient dans un lieu proche du tribunal. Nous retrouvons, là formant un grand cercle, des jeunes femmes qui revendiquent une approche interscetionnelle de leur engagement : un féminisme anti-raciste qui défend les droits des personnes LGBTQIA+ et qui veut se fédérer pour poursuivre le combat au-delà du procès.  Elles ont organisé des actions : chorale devant le tribunal, tractages. Les “Amazones d’Avignon” ont, elles, collé et continuent à coller des messages de soutien qui écrivent dans la nuit les phrases qui apparaissent au matin “ Depuis que je suis arrivée dans cette salle d'audience, je me sens humiliée ” ou encore “ On la disait brisée/C’est une combattante/Gisèle ”, « Gisèle debout/Bravant la tempête/Les femmes t’admirent”… Gisèle Pelicot a été photographiée par la presse quotidienne régionale devant ces collages et salue ces témoignages et actions des féministes qui la portent.

Face à cette mobilisation, l’enjeu reste comme l’écrivait Gisèle Halimi dans Viol, Le procès d’Aix : “de provoquer un débat de société à partir d'un procès exemplaire. » Celui-ci, comme pour le procès d’Aix, n’aura pas lieu dans la Cour criminelle. Mais il se déroule sur les réseaux sociaux et dans les chroniques judiciaires de journalistes français mais également du monde entier qui rapportent les audiences. Des tribunes égrènent les points de vue sur le consentement et les conséquences du procès Mazan dans la loi.

Peu de politiques se sont exprimés au-delà des femmes politiques féministes les plus identifiées.

Pourtant, plus que jamais les responsables politiques doivent s’emparer de ce procès hors-norme pour entendre ce que dit Gisèle Pelicot et qui va au-delà de son procès. Sans doute revendique-t-elle la formule de Gisèle Halimi qui affirmait à ses détracteurs qui l’accusaient de faire des « procès-spectacle » : « nous ne voulons pas d’une justice-expiation mais d’une justice-explication ». Une justice écrit-elle qui aurait renoncé à s’interroger sur le droit ne serait pas une justice complète. “Le viol, comme le racisme, comme le sexisme, donc il relève d'ailleurs, est le signe d'une pathologie socioculturel. La société malade du viol ne peut guérir que si, en ayant fait le diagnostic, elle accepte de remettre radicalement en question les rouages de sa machine culturelle, et son contenu. C'est cette machine et la matière qu’elle broie et distribue qui fabrique des têtes où le viol n'est pas perçu comme un crime. Et chacun sait que nos têtes sont nos organes sexuels, par excellence. Le procès n'est qu'un moyen d'une prise de conscience. La peine, un élément de réflexion.»

La loi doit donc changer sous l’impulsion de ce double mouvement militant et judiciaire. Il faut que les responsables politiques s’emparent de cette prise de conscience collective sans précédent sur ce qu’est le viol, ce « fascisme ordinaire » selon Gisèle Halimi, et modifient profondément le droit pénal en conséquence. Des chercheur·euses y travaillent et nombreuses sont celles et ceux qui demandent qu’un vrai débat sur le consentement se tienne au Parlement.

Gisèle Halimi écrit encore : "Le procès n'est qu'une phase dans la lutte des femmes, qui se nourrit de ses autres luttes et les nourrit dialectiquement en retour. Ne pas l'isoler de ce qui, dans le pays, fait la loi, la culture, la politique, le rendre le plus largement public, en y associant tous les mouvements, les groupes ou ceux et celles qui, à leur manière, et à leur rythme, se battent pour un changement de nos rapports et des mentalités, cela demeure, pour Choisir, la règle. Par tous les moyens démocratiques, nous voulons que chaque citoyen·ne se trouve en situation d'intervenir. De juger, donc de comprendre. »

Nous toutes et tous ensemble nous devons poursuivre, amplifier, démultiplier le combat de Gisèle Pelicot. Ce n’est pas son combat à elle-seule, c’est celui de tout un pays qui doit nommer et lutter contre sa propre culture du viol. Cela passe par l’éducation, la formation, la police, la justice, etc.. Devant les tribunaux de France le 19 octobre pour un temps de manifestation, puis tout au long du procès, et ensuite nous devons et nous devrons être auprès de Gisèle Pélicot pour que la loi s’élève à la mesure du combat que cette femme courageuse mène pour nous toustes.