Le débat sur l'identité en Europe contre les droits des femmes.
Certains voudraient mettre au premier plan de l'élection européenne du 26 mai prochain la question de l'identité chrétienne de l'UE, agitant, à dessein, la commercialisation d'un hijab par Décathlon. Si la question identitaire est sujette à débats, elle n’est pas centrale face aux urgences climatiques et sociales et ne doit pas occulter les défis prioritaires à relever, et, à plus forte raison, celui de l'égalité entre femmes et homme. Elle en détourne même l'attention, comme le souligne le philosophe Michaël Foessel qui, dans un entretien à Libération le 26 mars dernier, notait à propos de son travail sur les liens entre notre époque et les années 30 dans la Récidive : «J’ai vu, en 1938, comment les questions sociales et démocratiques étaient éclipsées par les angoisses identitaires. Ce déplacement me semble très actuel, avec ce qu’il comporte d’inquiétant. »
Cette angoisse identitaire trouve dans les droits des femmes un terrain de prédilection pour leurs adversaires qui prétendent publiquement les défendre mais qui, en réalité, les font reculer. Ces droits se trouvent en effet, instrumentalisés, alors qu'ils devraient redevenir centraux dans les politiques et le débat européens.
Par quel biais la question identitaire porte-t-elle atteinte à l'émancipation des femmes ?
Le point de départ de cette pensée réside dans le fait que l'identité serait la réponse aux mutations importantes que connaît la société contemporaine en matière de droit de la famille (mariage pour tous, divorce, congés parentaux ou de paternité, etc.), et de droits sexuels et reproductifs (PMA, contraception, éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle, légalisation de l'avortement, etc.). A ces mutations sociales et culturelles on va tenter d’opposer le récit d'identités figées présentées comme historiques ou naturelles : identité chrétienne de l’Europe, identité du rôle féminin, identité du rôle masculin.
Ainsi, dans l'enquête "Le Puy du Fou sous le divertissement, un combat culturel" (29 mars 2019 ), The Conversation, décrit le parc d'attraction vendéen comme le lieu où : "La promotion de l’identité locale s’est élargie à la défense de l’identité chrétienne. D’un spectacle à l’autre, les thèmes se répètent : de l’Empire romain à Verdun, en passant par les Vikings, Jeanne d’Arc et les expéditions de La Pérouse, le peuple chrétien doit être défendu face à ses ennemis. (...) La foi et l’identité sont ainsi représentées comme des refuges face à l’angoissante modernité."
Cette "angoissante modernité" est celle qui bénéficie aux femmes et aux familles homoparentales. C'est ce que démontre de façon extrêmement détaillée le rapport du Forum parlementaire pour les droits sexuels et reproductifs, publié en avril 2018. Cette étude met à jour le lobbying des partisans du "Retour à l'ordre naturel" qui, en Europe, veulent revenir sur les droits humains fondamentaux tels que le divorce, l'accès à la contraception ou à l'IVG, la PMA, les droits LGBT. Le mode d'action, les financements et l'activisme sur internet de ces réseaux progressent en effet efficacement dans les Etats-membres de l'UE comme en atteste la tentative de recriminaliser l'avortement en Pologne en 2016.
(https://www.epfweb.org/sites/epfweb.org/files/online_rtno_fr.pdf)
Interroger aujourd'hui un candidat aux élections européennes sur la perte d'identité chrétienne de l'UE -ou, souligner complaisamment d'un "Vous avez remarqué que je ne vous interroge pas sur l'IVG ?"- comme le faisait JJ Bourdin lundi 25 mars 2019, en interviewant François-Xavier Bellamy le candidat LR opposé à l'IVG, c'est faire le lit de tout un discours idéologique identitaire dont les femmes sont le prétexte et les grandes perdantes.
C'est nier qu'en réalité, les femmes sont exposées à des violences spécifiques qui les tuent ; qu'elles se voient refuser la maîtrise de leurs grossesses au nom de dogmes religieux ; qu'elles sont les travailleuses et les retraitées les plus pauvres et que leurs revendications sociales ou de dignité, qu’elles soient ou non racisées, migrantes, porteuses de handicap, mineures ou majeures, sont légitimes et universelles.
Alors, ne soyons pas dupes de ce mépris des femmes. Et continuons à affirmer que la question de leurs droits concrets, sociaux et humains, doit être au centre des politiques publiques européennes. Parce que les femmes sont une force en puissance, riche d'engagements -l'adolescente suédoise, Greta Thunberg, à l'origine des marches d'élèves pour le climat en est le symbole précoce- de pensées et d'actes bienveillants qu'il faut faire grandir encore.
Penser les droits des femmes de façon globale dans l'Union Européenne, nécessite que leur cause soit une cause première en Europe.
Maria Cornaz Bassoli, avocate
Violaine Lucas, Conseillère régionale des Pays de la Loire
Faye Tadros, avocate
Co-fondatrices de yeswomen.eu
(Photo DR)